J’aime manger. De tout, depuis toujours. Sans trop y réfléchir. Merci Épicure.
J’aime la viande, sous toutes ses formes.
Puis mon fils n’a plus voulu en manger. Il me disait qu’il ne voulait pas faire souffrir les
animaux. Soit. J’ai entendu et respecté. Je n’ai pas fondamentalement changé mon rapport à
la viande, j’en mange un peu moins peut-être. Mes discussions avec lui m’ont fait réaliser
que nous ne nous questionnions globalement pas assez sur ce que nous mangions. Alors
que les repas et les plaisirs gustatifs occupent une part essentielle dans nos vies et en disent
beaucoup sur qui nous sommes.
Quand on se raconte des histoires sur la nourriture, on se raconte nous-même, nos origines
et nos valeurs. D’où vient la viande ? Comment la produit-on ? Comment sont traités les
animaux et dans quelle mesure cela importe t-il ? Quelles sont les conséquences sociales et
environnementales qu’entraînent le fait de manger des animaux ?
Je voulais simplement comprendre ce qu’EST la viande, je voulais le savoir le plus
concrètement possible. Peut-être bien que LA viande n’existe pas. Il y a cet animal-ci,
élevé dans cette ferme, tué dans cet abattoir, vendu de cette manière-là et mangé par cette
personne ci.
Le problème posé par la viande a pris une dimension abstraite : il n’y a plus d’animal
individuel, plus d’expression singulière de contentement ou de souffrance, plus de queue
qui s’agite, et plus de cris. La philosophe Elaine Scarry a observé que « la beauté survient
toujours dans le particulier ». La cruauté, quant à elle, préfère l’abstraction.
En lisant le livre « Faut-il manger des animaux? » de Jonathan Safran Foer, j’ai amorcé une
réflexion sans à priori sur mon rapport à la viande. J’ai trouvé qu’il y avait une continuité
avec mon travail photographique de ces 20 dernières années: les corps faillibles,
organiques, texturés ont laissé place aux tripes et aux viscères de ces animaux dépouillés.
Un cadavre en remplace un autre.
Le corps est le vestige de la viande. Nous sommes de la viande, nous sommes des
carcasses en puissance. Et si Bacon le dit…